Backstages Shiatzy Chen
Paris Fashion Week AW 2019
Je passe de plus en plus de temps dans les backstages des défilés parisiens, par envie, par besoin, j’ai cette étrange impression que le temps s’arrête, que mon cerveau ralentit son rythme effréné. Il faut dire que rester 3h dans un espace de quelques dizaines de mètres carrés peut mettre votre créativité à rude épreuve.
Arrivé au Palais de Tokyo pile à l’heure je me suis glissé derrière le lourd rideau qui sépare les coulisses de la mode du vrai monde, un simple bout de tissu en forme de frontière que seul le précieux sésame peut soulever : le passe BACKSTAGE. Une fois les formalités accomplies : vérification de l’identité, du sac, du badge, de la liste, … je plonge tête baissée dans l’aire du make-up. L’ambiance est studieuse, calme, les premiers traits d’eyeliner sont tirés, les cheveux sont plaqués, lissés, gominés, étirés jusqu’au contentement du directeur artistique veillant au bon déroulement de la chorégraphie.
Les minutes défilent, s’enchainent les heures et les cent pas. Les photographes errent entre les maquilleurs, les maquilleuses, les coiffeurs et les coiffeuses, les mannequins, elles, vaquent. Tantôt sur instagram, tôt avalant nonchalamment les pages d’un ouvrage sûrement débuté dans l’avion les menant de Milan à Paris. J’use mes semelles, mon regard se pose partout, lit l’environnement, les comportements, j’attends le bon moment pour photographier, rien ne presse, le défilé ne commence que dans 3h, 3h … 180 min d’attente avec un enchainement immuable : fin du make-up et des coiffures, habillage puis la scène finale : le line-up, une enfilade de mannequins jouant avec les photographes quelques minutes avant le top départ.
Le visage de Merel Zoet m’a attiré, à moins que ce soit son attitude hors du temps, du moment. Posée devant un mur blanc, lisant un livre de “De Correspondent” un laboratoire d’innovation journalistique, l’air de ne pas nous voir, elle pose et semble intérieurement s’amuser du décalage qu’elle provoque.
C’est en écrivant ces lignes et en regardant avec plus d’attention le déroulé de mes photos que je m’aperçois que mon regard a suivi Merel Zoet aux différentes étapes précédant le défilé Shiatzy Chen, pas une volonté objectivée mais un lien entre l’appareil photo et son parcours, un peu tiré par les cheveux non ?
Dans les backstages, chaque photographe a sa technique pour attirer l’attention, la mienne n’est pas encore éprouvée, j’attends simplement, au risque de ne pas avoir la photo voulue, je n’ai pas envie d’être intrusif, même si cette règle du jeu ici est convenue et validée de tous. Pas de séduction non plus, pas de sourire complice, nous sommes tous au travail, une distance est de rigueur, il faut protéger ces filles. Je passe sûrement à côté de photos plus impactantes, peu importe, ce n’est pas moi, je suis discret et silencieux, respectueux, merci maman.
Je passe un peu de temps à discuter avec Imad, photographe italien, Kay, photographe anglaise, Christian, photographe française, c’est un peu une famille à temps partiel. Ici s’échangent les ressentis, les techniques photos, les anecdotes. Nous quittons souvent la conversation en cours pour faire une ou deux photos puis revenir en ayant perdu le fil. Des liens se tissent fashion week après fashion week.
Revenons à Merel Zoet, il se dégage un douceur de son visage d’enfant, une innocence qu’on aimerait préserver face à un monde qui ne la ménagera pas, un monde ou son intimité sera dévoilée, ou son respect sera mis à rude épreuve. Ou alors son cette apparente candeur se cache une extrême force. Je ne dois pas juger un livre à sa couverture.